- MANDCHOURIE
- MANDCHOURIELe terme de Mandchourie, d’origine occidentale, n’a qu’un sens géographique: à savoir le quadrilatère nettement dessiné que délimitent à l’ouest les monts Khingan, au nord l’Amour, à l’est l’Oussouri et la frontière coréenne, au sud la péninsule du Liaodong.Les formations politiques qui se sont succédé dans cette région depuis le début de notre ère contrôlaient des territoires parfois plus vastes, parfois plus restreints. Les Chinois du XXe siècle disent tout simplement: Dong sans cheng, les « trois provinces orientales », Heilongjiang, Jilin et Liaoning. La Mandchourie ne peut même pas être définie comme une entité ethnique, puisque des Chinois, des Coréens, des Mongols, des Toungouses s’y mêlent aux « Mandchous » proprement dits depuis une époque ancienne. Ce n’est que pendant une très brève période (1931-1945) qu’une Mandchourie politique a coïncidé avec la Mandchourie géographique; l’État « indépendant » du Manzhouguo, protégé en fait par les Japonais, s’efforça de se définir comme une entité raciale, alors que les Mandchous n’y constituaient qu’une faible minorité.Rapports avec la ChineDès le début de notre ère, à l’époque de la dynastie chinoise des Han, les garnisons et les paysans chinois s’installent en Mandchourie du Sud, tandis que le reste du pays est occupé par les tribus toungouses et mongoles. Une série de formations monarchiques plus ou moins stables et plus ou moins vigoureuses s’établissent en Mandchourie: le royaume de Gaogouli (Ier-VIIe s.), qui est d’affinités coréennes; le royaume toungouse de Buohai (VIIIe-Xe s.); le royaume mongol des Qitan (Xe-XIIe s.); le royaume toungouse des Niuzhen ou Jouchen (XIIe-XIIIe s.). Ces deux derniers, Qitan et Niuzhen, s’installent même à Pékin et dominent la Chine du Nord, respectivement sous les noms de dynastie Liao et de dynastie Jin. La Mandchourie, à cette époque, était déjà peuplée, économiquement très active, construite de villes nombreuses. L’archéologie a retrouvé maints signes de ce développement politique et culturel précoce. Mais l’occupation mongole (XIIIe-XIVe s.) dévaste et dépeuple le pays. Après ce hiatus de deux siècles, la Mandchourie fait figure de région arriérée, apparemment inexploitée, et où ne nomadisent plus que des tribus toungouses (« Mandchous »).Les Ming, à partir du XIVe siècle, tentent de rétablir l’autorité chinoise sur cette région, après la défaite de la dynastie mongole. Ils y envoient dans le Sud des garnisons de paysans-soldats. Mais ils sont incapables de tenir tête aux entreprises d’un chef de tribus du Nord, Nurhaqi (1559-1626), qui unifie les tribus mandchoues, se proclame roi en 1616 et s’empare en 1621 des deux principales places des Ming en Mandchourie du Sud, Liaoyang et Moukden (Shenyang). Il donne à son État une structure plus solide, fixe sa capitale à Shenyang, groupe les tribus en « bannières » militaires, fait adopter pour la langue mandchoue un alphabet spécial proche de celui des Mongols. Son fils Huang Taiji se proclame empereur de la dynastie Qing (littéralememt: « pure ») et les armées mandchoues de son petit-fils chassent en 1644 de Pékin le dernier empereur Ming. Jusqu’en 1911, c’est une dynastie mandchoue qui règne à Pékin sur l’ensemble de la Chine.La Mandchourie ne se confond toutefois pas avec le reste de l’Empire. C’est une zone à statut privilégié, où les « Chinois du peuple » (minren ) n’ont pas le droit d’entrer. Un gouvernement séparé, dont les ministres sont purement fictifs, subsiste à Moukden, où les empereurs mandchous de Pékin ont l’habitude de venir saluer les tombeaux de leurs ancêtres. Le mandchou est langue de gouvernement à Pékin, à égalité avec le chinois. C’est l’époque où il existe au Collège de France une chaire de mandchou littéraire. En Chine même, les Mandchous sont la race dominante. Ils tiennent garnison dans toutes les grandes villes et reçoivent gratuitement des allocations de riz, rémunération symbolique pour les services rendus par leurs ancêtres à la dynastie quand celle-ci fit la conquête de la Chine. Aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, le mouvement d’opposition à la dynastie est nationaliste et antimandchou, et le reste même quand il devient républicain. La même hostilité aux Mandchous s’exprime dans le rituel de la Triade, dans les proclamations des Taiping, dans le programme politique de Sun Yat-sen.L’enjeu des grandes puissancesDès 1803, la Mandchourie avait été ouverte par les autorités impériales à la colonisation paysanne chinoise. Ce mouvement de migration s’accentue au cours du XIXe siècle et est encouragé par le gouvernement (contrairement à la politique de séclusion privilégiée de la Mandchourie suivie jusqu’au XVIIIe siècle), dans la mesure où une Mandchourie presque vide résistait mal aux pressions des grandes puissances.À la fin du XIXe siècle, la Mandchourie change en effet brusquement de statut géopolitique. D’une situation de confins, d’isolement dans une région de montagnes et de forêts presque désertes, elle se trouve brusquement transportée au cœur des rivalités internationales en Extrême-Orient. En 1858-1860, profitant de la seconde guerre de l’opium, la Russie a contraint Pékin à lui céder tout le nord et l’est de la « Mandchourie » traditionnelle (zone où nomadisaient les tribus mandchoues avant que leurs chefs ne montent sur le trône impérial chinois). Ces annexions portent sur la rive nord de l’Amour et sur le territoire situé entre l’Oussouri et la mer. La Chine populaire ne reconnaîtra pas ces transferts de territoire quand éclatera cent années plus tard le conflit sino-soviétique.La pénétration russe en Mandchourie s’accentue à la fin du siècle, au moment où toutes les grandes puissances cherchent à s’assurer par la force en Chine des avantages économiques et militaires (break-up ). En 1898, la Russie obtient le droit de construire une ligne de chemin de fer, le Transmandchourien, allant directement d’Irkoutsk à Vladivostok, d’installer une base militaire (Port-Arthur) à l’extrémité de la presqu’île du Liaodong et de considérer toute la province comme « zone d’influence » russe. Mais le Japon, également voisin immédiat, convoite aussi les richesses de cette région. En 1905, il attaque la Russie et l’oblige à lui céder ses droits sur le sud du pays: chemin de fer sud-mandchourien, base de Port-Arthur, etc. La guerre entre les deux puissances s’était déroulée sur le sol même de la Mandchourie, enjeu de leurs rivalités.Ainsi écartelée entre les puissances, éloignée du gouvernement central, dépourvue de structures sociales rigides du fait de la tardive implantation chinoise, la Mandchourie est à la fin du XIXe siècle la terre classique des aventuriers et des insoumis. Ceux-ci se réunissent pour former des bandes de Honghuzi (Bandits à barbe rouge), sortes de fraternités secrètes qui contrôlent les échanges commerciaux, pratiquent le racket et le brigandage de grand chemin. Les Honghuzi s’inspirent en même temps d’une idéologie égalitaire de social banditry à la Robin Hood. Ils ont même, pendant une dizaine d’années, fait vivre une république communautaire de chercheurs d’or dans le Grand Nord, qui fut finalement détruite par l’intervention combinée des armées russes et chinoises.Instabilité politique et développement économiqueLa poussée générale des forces centrifuges et l’anarchie militaire, qui caractérisent en Chine toute la période consécutive à la révolution républicaine de 1911, affectent tout particulièrement la Mandchourie, du fait de sa situation marginale. C’est l’ère des « seigneurs de la guerre », qui se disputent les provinces. Le maître de la Mandchourie est alors Zhang Zuolin, ancien bandit Honghuzi devenu gouverneur militaire avec le soutien financier des Japonais. Il tente à plusieurs reprises, mais en vain, d’établir son contrôle sur le gouvernement « central » de Pékin, notamment en 1920 et en 1926. Ses ambitions inquiètent toutefois ses protecteurs japonais, qui le font assassiner en 1928. Son fils Zhang Xueliang lui succède et assiste en 1931 à la conquête de ses trois provinces par le Japon. Il en rend responsable l’incurie du Guomindang, et tente en 1936 d’enlever Tchiang Kai-chek pour le tuer en représailles (affaire de Xi’an).En 1931, les Japonais restaurent à Moukden la dynastie des Qing, détrônée à Pékin en 1911. Le dernier empereur, né en 1908, remonte sur le trône. Mais son État, le Manzhouguo, qui n’est qu’un satellite du Japon, disparaît quand ce dernier capitule en 1945.Le XXe siècle est pour la Mandchourie une période de grand développement économique. Les Japonais contrôlaient économiquement la région, avant même d’en devenir politiquement les maîtres en 1931. Ils ont ouvert de vastes mines de charbon (Anshan, Penqihu) et de fer (Fushun). Leur chemins de fer ont assuré des débouchés à une production agricole en expansion (céréales, soja, coton). Ils ont équipé les grandes villes. La Mandchourie est une pièce essentielle de l’empire économique des grands zaibatsu japonais (Mitsui, Mitsubishi). La Russie, au contraire, depuis la révolution soviétique, s’est effacée, mais sans se retirer complètement. Elle conservait encore en 1949, quand les communistes arrivent au pouvoir dans toute la Chine, certains droits portuaires et ferroviaires en Mandchourie (elle ne les rendra qu’en 1953).Le XXe siècle est encore l’époque du peuplement massif de cette région: 14 millions d’habitants en 1910, 23 millions en 1923, 41 millions en 1953 (dont seulement 2 millions de Mandchous proprement dits). Les trois provinces du Nord-Est (801 600 km2) comptaient 99,3 millions d’habitants au recensement de 1990.À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’armée soviétique entre en Mandchourie et s’installe à Harbine (Kharbin), principal centre ferroviaire du Transmandchourien. Cette position fut, dès 1946, transférée discrètement aux guérilleros communistes qui combattaient les armées du Guomindang dans le reste du pays et assiégeaient les grandes villes. Moukden fut prise en 1948. La Chine populaire héritait, dans cette région, de l’effort d’équipement mené par les Japonais (bien que les armées soviétiques aient démonté à titre de réparations de guerre une partie des installations industrielles japonaises).Les trois provinces du Nord-Est ont joué un rôle essentiel dans le développement économique de la Chine populaire. Mais elles ont aussi posé un problème politique, du fait même de leur importance économique et de leur proximité du territoire soviétique. En 1955, le premier secrétaire du Parti communiste dans le Nord-Est, Gao Gang, se suicida. Il n’est pas impossible qu’il ait songé à orienter cette région industrielle vers une coopération très poussée avec l’Union soviétique, quitte à distendre ses liens avec le reste de la Chine. La révolution culturelle a été particulièrement active dans le Nord-Est, et notamment dans la province de Heilongjiang.Mandchourienom d'un anc. territ. de la Chine du N.-E. découpé auj. en plusieurs prov. chinoises; v. princ. Shenyang et Harbin. Le pays est riche (soja, millet, riz; houille; forte industr.).— Convoitée par la Russie et le Japon, la Mandchourie fut partagée en deux zones d'influence (1905). L'U.R.S.S. ayant abandonné ses droits (1924), le Japon créa l'état vassal du Mandchoukouo (1932), territ. chinois en 1945.
Encyclopédie Universelle. 2012.